
Finalement, ils auront été cinq fils du fondateur du mouridisme à se succéder à la tête de son khalifat. Autant que les piliers de l'Islam. Autant que les prières quotidiennes. Tout un symbole ! Celui de la perpétuation des enseignements de Serigne Touba. De la pérennité de son œuvre. Cette comparaison avec les cinq piliers de l'Islam et les cinq prières quotidiennes a d'ailleurs répandu dans la conscience collective mouride l'idée que la voie tracée par Serigne Touba serait à jamais un long fleuve tranquille. Avec des descendants qui se succéderont à son khalifat sans entrave aucune, ni incidence fâcheuse, dans le fonctionnement de la confrérie. Tout de même, la disparition de Serigne Saliou Mbacké, le dernier des fils et sa succession par Mouhamadou Lamine Bara, le premier des petits-fils par l'âge, ouvrent une nouvelle ère. Et, naturellement, charrient bien des interrogations. La donne en sera-t-elle changée à Touba? L'autorité du khalife risque-t-elle d'être écornée à présent qu'elle est assurée, non plus par un fils du fondateur du mouridisme, mais par un petit-fils? Wade qui a toujours surfé à l'excès sur sa proximité avec le défunt khalife pour capter le vote mouride, devra-t-il revoir sa copie? « Il y a toujours eu les mêmes appréhensions à chaque transmission du khalifat de Serigne Touba sans que cela n'ait jamais tiré à conséquence », rassure en tout cas un dignitaire mouride. Et d'illustrer son propos par des exemples. « A la disparition de Khadimou Rassoul, lui-même, d'aucuns avaient trouvé son fils aîné Serigne Mouhamadou Moustapha incapable de perpétuer l'œuvre de son vénéré père. Il le réussit pourtant si bien qu'à sa disparition, on ne voyait pas son frère cadet Serigne Fallou se montrer son digne successeur ». Ce serait là l'explication de la défiance manifestée un moment par Serigne Cheikh Gaïndé Fatma, fils du premier khalife, à l'endroit de celui qui succéda à son père. « Il en sera ainsi, poursuit notre source, quand Serigne Abdou Lahad fut appelé à prendre le relais, puis Serigne Abdou Khadre et finalement Serigne Saliou dont l'accueil de la disparition montre à quel point il aura été un digne successeur ». Conclusion de ce dignitaire mouride : «c'est Serigne Touba lui-même qui veille en définitive sur sa voie ». Toutefois, même si le nouveau khalife jouit à présent de la même autorité, elle est forcément plus fragile que celle de ses prédécesseurs. Tous fils de Serigne Touba, donc revêtus d'une charge mythique aux yeux des dignitaires et talibés mourides. N'est-ce pas que la première alerte est déjà venue du tonitruant Cheikh Béthio Thioune? Pas question pour lui de se soumettre à une autorité autre que celle de son défunt mentor, Serigne Saliou Mbacké. Bien qu'il ait tout de même fait acte d'allégeance au fils de ce dernier, Serigne Cheikh Saliou, non sans préciser d'ailleurs qu'il lui est « supérieur ». De la même manière qu'il serait « au-dessus de tous les saints, à l'exception de feu Borom Khelcom », peut-on lire sur son propre site, « santati.net ». Si ce n'est une défiance à l'autorité du successeur de Serigne Saliou, c'est tout au moins une sérieuse entorse à la légendaire discipline de la communauté mouride. Certes, il ne fallait pas s'attendre de Cheikh Béthio qu'il fasse montre, à l'endroit du nouveau khalife, du même dévouement que celui qui lui avait valu de se distinguer parmi les talibés de Serigne Saliou. Mais avait-il réellement besoin de le dire à si haute et intelligible voix ? Assurément non. Surtout qu'en faisant automatiquement acte d'allégeance à l'endroit de Serigne Bara Falilou, les trois grandes familles de Touba, celles de Darou Salam, Darou Mouhty et Mbacké Khewar ont voulu clairement indiqué qu'elles entendaient se soumettre à l'autorité du tout nouveau représentant de Serigne Touba sur terre. Alors, la voix discordante du guide des « Thiantacounes » serait-elle en définitive la seule fausse note d'une succession qui s'est faite jusqu'ici en douceur? Rien n'est moins sûr.
Une famille, plusieurs sensibilités
En atteste le mouvement d'humeur rapporté par « Le Populaire » (Edition N° 2433 du 02 janvier 2008) et qu'auraient manifesté certains petits-fils de Serigne Touba en boudant l'audience que le nouveau khalife devait leur accorder, avant de se faire représenter par son « Vizir » Serigne Cheikh Maty Lèye. Une bouderie qui montre que l'autorité du nouveau khalife s'annonce moins nette que celle de ses prédécesseurs. Et c'est parce qu'il en a justement conscience que Serigne Bara a voulu vite lancer un signal fort à la communauté, en faisant de Cheikh Maty Lèye son Premier ministre en quelque sorte. Une façon de solder ses comptes avec ce dernier auquel il avait été opposé par un litige foncier. Mais aussi une manière d'indiquer très clairement qu'il comptait associer tous les petits-fils à son khalifat à travers le choix comme numéro deux de son suivant immédiat par l'âge. Mais ce geste du nouveau khalife suffira-t-il pour préserver la discipline élevée jusqu'ici au rang de dogme immuable chez les mourides? Toujours est-il que même s'il n'a pas l'envergure de ses prédécesseurs, Serigne Bara pourra surfer sur l'aura dont a toujours joui son défunt père, Serigne Fallou Mbacké, auprès des talibés. Deuxième khalife de Serigne Touba, ce dernier a marqué les esprits pour ses prodigieuses prières et pour avoir achevé la construction de la mosquée de Touba. Or, ils sont nombreux les nostalgiques de l'époque de Serigne Fallou à voir son fils El Hadji Bara, aujourd'hui élevé au rang de khalife de Serigne Touba, marcher sur les traces de son illustre père. En somme, un préjugé favorable qui s'avère être un atout non négligeable pour le successeur de Serigne Saliou. A cela, s'ajoute l'onction des familles de Mame Cheikh Anta Mbacké, Mame Thierno Birahim et Mame Mor Diarra, tous frères du fondateur du mouridisme, dont l'appui ne saurait faire défaut à tout khalife voulant jouir de toute son autorité. Autre fait· marquant, l'acte d'allégeance à l'égard du nouveau khalife de l'ensemble des petits-fils, y compris le fils aîné de son prédécesseur, Serigne Cheikh Saliou. Toutes choses qui sont de nature à garantir une transition toute en douceur. « Ils ont tous intérêt à faire ainsi leur unité derrière Serigne Bara, car c'est ce qui permettra de préserver le legs de Serigne Touba et de leur assurer, en définitive, le respect et le dévouement des talibés. Sans oublier que chacun de ces petits-fils pourrait être un jour khalife général et voudrait bien que toute l'autorité en soit conservée », rassure un proche de la famille de Touba. Il y a enfin la valeur intrinsèque du nouveau khalife. Il a beaucoup vécu et a eu à gérer avec tact les velléités successorales que certains lui ont même prêtées du vivant de Serigne Saliou. Aussi, pourra-t-il avoir toute l'intelligence et la délicatesse qu'il faut pour ne pas fragiliser son autorité. Mais, il y en a qui nourrissent malgré tout quelques appréhensions à propos notamment de la propension des fIls du successeur de Serigne Saliou à s'afficher auprès de leur père. Et, pourquoi pas, à jouir d'une manière ou d'une autre de son influence. « Le seul danger est qu'ils arrivent à avoir une parcelle de pouvoir et à asseoir ainsi une certaine influence sur leur père dont on dit, à tort ou à raison, qu'il a un faible pour ses enfants », avertit une autre de nos sources. D'autant que la bataille de positionnement risque de faire rage dans la nouvelle galaxie de Touba où seul le titre de « Jawrinu Yoon Wi », entendez Premier ministre, est à ce jour officiellement attribué à Serigne Cheikh Maty Lèye. Pour tous les autres, les jeux restent ouverts. Même si, rassure une source proche de la famille du nouveau khalife, ce dernier aurait bien pris soin après les premiers jours de son khalifat à intimer l'ordre à sa progéniture de se tenir à bonne distance. « Je ne suis plus uniquement le khalife de Serigne Fallou, donc d'une famille, mais aussi et surtout celui de Borom Touba et donc de toute la communauté », aurait signifié Serigne Bara à ses fils. Ces derniers ont-ils reçu ce message cinq sur cinq ? Il faudra sûrement surveiller les prochaines sorties du khalife pour être édifié. Même si, après tout, il n y a rien d'étonnant qu'un de ses fils soit bien visible dans sa galaxie comme ce fut déjà le cas durant le khalifat de Serigne Mouhamadou Moustapha avec Serigne Cheikh Gaïndé Fatrna, de Serigne Fallou avec Serigne Modou Bousso Dieng et de Serigne Abdou Lahad avec son fils Serigne Cheikhouna. La seule exception ayant été le règne de Serigne Saliou dont le fils aîné Serigne Cheikh Saliou s'est toujours montré effacé, alors que son frère cadet Serigne Moustapha Saliou a lui été tenu assez éloigné de son père avec la complicité du proche entourage de Serigne Saliou et du pouvoir libéral. En tout cas, s'agissant du nouveau khalife, certains voient d'ores et déjà un de ses fils, en l'occurrence Galass Kaltom, comme un potentiel remplaçant de Matar Diakhaté à la tête de la communauté rurale de Touba dont il est parmi les conseillers. Il a, de ce fait, un pied au sein de cette structure qui a toujours suscité des convoitises dans l'entourage de chaque khalife. Mais ce qu'il y a surtout lieu de noter à propos de Galass Kaltom, c'est qu'il est notoirement connu pour sa proximité avec les socialistes. Une façon pour ce petit-fIls de Serigne Fallou de perpétuer les très bonnes relations que son défunt grand-père a toujours entretenues avec feu Léopold Sédar Senghor et donc avec la famille socialiste. C'est d'ailleurs là une particularité de la famille de Serigne Fallou qui n'est pas sans inquiéter Wade et les siens. On y rencontre toutes les sensibilités politiques. Ce qui n'est guère de bon augure pour les libéraux qui s'étaient toujours bien débrouillés pour passer, auprès de l'opinion, pour les « préférés » de Serigne Saliou. Quand bien même le défunt khalife se soit toujours gardé d'afficher quelque préférence que ce soit.
Scénario catastrophe pour le Sopi
A présent, Wade qui a toujours tenu à s'attacher la sympathie du khalife de Touba devra absolument remettre le métier à l'ouvrage. Bien qu'il avait commencé, du vivant même de Serigne Saliou, à se rapprocher habilement de celui qui allait lui succéder. On se souvient en effet de la visite qu'il avait projeté de faire auprès de la famille de Serigne Fallou dans le sillage de celle qu'il avait rendue à feu Serigne Mbacké Sokhna Lô. Mais une visite qui, rien qu'à l'annonce, avait suscité un tel tollé qu'elle a fini par capoter, avant d'être purement et simplement annulée. Seulement, la dernière sortie publique de Serigne Bara avant qu'il n'ait à assurer la succession de Serigne Saliou peut laisser supposer que le rapprochement a pu se faire avec Wade et son proche entourage dont Karim Wade. Pour rappel, le président de l'Anoci et Conseiller spécial du président s'était vu convier à une vaste opération de nettoiement par le Mouvement Beuge Touba qui en avait même fait le parrain de la manifestation. Avant que de jeunes marabouts, sous la houlette de Serigne Djily Bousso, ne le déclarent persona non grata sous prétexte que la manifestation avait des relents politiques et qu'elle était une entorse à l'ordre donné à l'époque par Serigne Saliou de ne plus politiser la ville sainte. Ce fatwa décrété contre Karim Wade par ces jeunes marabouts ne sera pas du goût du désormais khalife de Touba qui fit savoir à qui voulait l'entendre que le fils du président était le bienvenu à Touba. Et quiconque entravera sa visite le trouvera sur son chemin. Cette prise de position présage-t-elle du soutien de l'actuel khalife à Karim Wade au cas où ce dernier voudra enfin officialiser sa descente dans l'arène politique? Certains le pensent. Comme ils voient aussi dans la dernière visite de Wade auprès de Serigne Bara en compagnie de son fils une manière de faire rentrer celui-ci dans les bonnes grâces du successeur de Serigne Saliou. Mais Serigne Bara franchira-t-il le Rubicon? Ira-t-il jusqu'à afficher ouvertement son soutien au dauphin supposé de Wade au risque de mettre en péril son autorité? Le bon sens voudrait, en tout cas, que conscient de la fragilité de celle-ci, il se garde de toute prise de position en faveur de Wade. Et plus encore à l'égard du président de l'Anoci. « S'il se garde de toute posture politique, il pourrait même être plus charismatique que Serigne Saliou, porté par l'aura de son illustre père, Serigne Fallou. Sinon, il mettrait en péril l'unité de la confrérie, car il ne manquera pas des petits-fils pour adopter des positions contraires et qui le lui feront savoir », avertit Serigne Fallou Dieng du Cercle des Intellectuels Soufis. Toujours est-il que le Sopi qui ne s'attendait pas à pareil scénario a de quoi être inquiet. « La disparition de Serigne Saliou intervient dans un contexte particulièrement délicat où le pays est en proie à une crise sociale et économique, sans oublier toutes les incertitudes qui planent à présent sur la tenue du sommet de l'GCI et l'affaire Macky Sall », fait remarquer un de nos interlocuteurs. Wade qui a toujours espéré, et surtout travaillé, pour s'assurer le soutien de Serigne Saliou en vue de traverser toutes ces épreuves devra absolument déployer une toute autre opération de séduction à l'endroit de son successeur. Ce qui passera sûrement par l'intermédiaire qu'il a demandé au nouveau khalife de lui designer. Comme ce fut le cas avec Matar Diakhaté sous le règne de Serigne Saliou. Seulement, en aura-t-il le temps? Quant à Karim Wade, il a déjà une longueur de retard vis-à-vis de ses concurrents directs à la succession que sont Macky Sall et Idrissa Seck qui ont su établir des relations personnalisées avec la grande famille de Touba. Tout comme d'ailleurs l'opposition, notamment le Parti socialiste dont le Secrétaire général Ousmane Tanor Dieng a manifestement ses entrées dans la ville sainte et particulièrement auprès de la famille de l'actuel khalife. Là où Karim Wade s'y est toujours pris sous couvert de son président de père, comme à l'occasion de la dernière visite de Wade auprès du nouveau khalife. En somme, rien de vraiment rassurant pour le Sopi. Surtout qu'une vieille tradition assez répandue dans la conscience mouride voudrait que tout chef d'État ayant bénéficié de l'appui d'un khalife général voit systématiquement son étoile pâlir à la disparition de ce dernier. On l'a déjà vu avec Senghor à la disparition de Serigne Fallou, puis avec Diouf après le décès de Serigne Abdou Lahad. Alors, ne dit-on pas qu'il n'y a jamais deux sans trois?
Momar DIONGUE
Source: Nouvel Horizon
Une famille, plusieurs sensibilités
En atteste le mouvement d'humeur rapporté par « Le Populaire » (Edition N° 2433 du 02 janvier 2008) et qu'auraient manifesté certains petits-fils de Serigne Touba en boudant l'audience que le nouveau khalife devait leur accorder, avant de se faire représenter par son « Vizir » Serigne Cheikh Maty Lèye. Une bouderie qui montre que l'autorité du nouveau khalife s'annonce moins nette que celle de ses prédécesseurs. Et c'est parce qu'il en a justement conscience que Serigne Bara a voulu vite lancer un signal fort à la communauté, en faisant de Cheikh Maty Lèye son Premier ministre en quelque sorte. Une façon de solder ses comptes avec ce dernier auquel il avait été opposé par un litige foncier. Mais aussi une manière d'indiquer très clairement qu'il comptait associer tous les petits-fils à son khalifat à travers le choix comme numéro deux de son suivant immédiat par l'âge. Mais ce geste du nouveau khalife suffira-t-il pour préserver la discipline élevée jusqu'ici au rang de dogme immuable chez les mourides? Toujours est-il que même s'il n'a pas l'envergure de ses prédécesseurs, Serigne Bara pourra surfer sur l'aura dont a toujours joui son défunt père, Serigne Fallou Mbacké, auprès des talibés. Deuxième khalife de Serigne Touba, ce dernier a marqué les esprits pour ses prodigieuses prières et pour avoir achevé la construction de la mosquée de Touba. Or, ils sont nombreux les nostalgiques de l'époque de Serigne Fallou à voir son fils El Hadji Bara, aujourd'hui élevé au rang de khalife de Serigne Touba, marcher sur les traces de son illustre père. En somme, un préjugé favorable qui s'avère être un atout non négligeable pour le successeur de Serigne Saliou. A cela, s'ajoute l'onction des familles de Mame Cheikh Anta Mbacké, Mame Thierno Birahim et Mame Mor Diarra, tous frères du fondateur du mouridisme, dont l'appui ne saurait faire défaut à tout khalife voulant jouir de toute son autorité. Autre fait· marquant, l'acte d'allégeance à l'égard du nouveau khalife de l'ensemble des petits-fils, y compris le fils aîné de son prédécesseur, Serigne Cheikh Saliou. Toutes choses qui sont de nature à garantir une transition toute en douceur. « Ils ont tous intérêt à faire ainsi leur unité derrière Serigne Bara, car c'est ce qui permettra de préserver le legs de Serigne Touba et de leur assurer, en définitive, le respect et le dévouement des talibés. Sans oublier que chacun de ces petits-fils pourrait être un jour khalife général et voudrait bien que toute l'autorité en soit conservée », rassure un proche de la famille de Touba. Il y a enfin la valeur intrinsèque du nouveau khalife. Il a beaucoup vécu et a eu à gérer avec tact les velléités successorales que certains lui ont même prêtées du vivant de Serigne Saliou. Aussi, pourra-t-il avoir toute l'intelligence et la délicatesse qu'il faut pour ne pas fragiliser son autorité. Mais, il y en a qui nourrissent malgré tout quelques appréhensions à propos notamment de la propension des fIls du successeur de Serigne Saliou à s'afficher auprès de leur père. Et, pourquoi pas, à jouir d'une manière ou d'une autre de son influence. « Le seul danger est qu'ils arrivent à avoir une parcelle de pouvoir et à asseoir ainsi une certaine influence sur leur père dont on dit, à tort ou à raison, qu'il a un faible pour ses enfants », avertit une autre de nos sources. D'autant que la bataille de positionnement risque de faire rage dans la nouvelle galaxie de Touba où seul le titre de « Jawrinu Yoon Wi », entendez Premier ministre, est à ce jour officiellement attribué à Serigne Cheikh Maty Lèye. Pour tous les autres, les jeux restent ouverts. Même si, rassure une source proche de la famille du nouveau khalife, ce dernier aurait bien pris soin après les premiers jours de son khalifat à intimer l'ordre à sa progéniture de se tenir à bonne distance. « Je ne suis plus uniquement le khalife de Serigne Fallou, donc d'une famille, mais aussi et surtout celui de Borom Touba et donc de toute la communauté », aurait signifié Serigne Bara à ses fils. Ces derniers ont-ils reçu ce message cinq sur cinq ? Il faudra sûrement surveiller les prochaines sorties du khalife pour être édifié. Même si, après tout, il n y a rien d'étonnant qu'un de ses fils soit bien visible dans sa galaxie comme ce fut déjà le cas durant le khalifat de Serigne Mouhamadou Moustapha avec Serigne Cheikh Gaïndé Fatrna, de Serigne Fallou avec Serigne Modou Bousso Dieng et de Serigne Abdou Lahad avec son fils Serigne Cheikhouna. La seule exception ayant été le règne de Serigne Saliou dont le fils aîné Serigne Cheikh Saliou s'est toujours montré effacé, alors que son frère cadet Serigne Moustapha Saliou a lui été tenu assez éloigné de son père avec la complicité du proche entourage de Serigne Saliou et du pouvoir libéral. En tout cas, s'agissant du nouveau khalife, certains voient d'ores et déjà un de ses fils, en l'occurrence Galass Kaltom, comme un potentiel remplaçant de Matar Diakhaté à la tête de la communauté rurale de Touba dont il est parmi les conseillers. Il a, de ce fait, un pied au sein de cette structure qui a toujours suscité des convoitises dans l'entourage de chaque khalife. Mais ce qu'il y a surtout lieu de noter à propos de Galass Kaltom, c'est qu'il est notoirement connu pour sa proximité avec les socialistes. Une façon pour ce petit-fIls de Serigne Fallou de perpétuer les très bonnes relations que son défunt grand-père a toujours entretenues avec feu Léopold Sédar Senghor et donc avec la famille socialiste. C'est d'ailleurs là une particularité de la famille de Serigne Fallou qui n'est pas sans inquiéter Wade et les siens. On y rencontre toutes les sensibilités politiques. Ce qui n'est guère de bon augure pour les libéraux qui s'étaient toujours bien débrouillés pour passer, auprès de l'opinion, pour les « préférés » de Serigne Saliou. Quand bien même le défunt khalife se soit toujours gardé d'afficher quelque préférence que ce soit.
Scénario catastrophe pour le Sopi
A présent, Wade qui a toujours tenu à s'attacher la sympathie du khalife de Touba devra absolument remettre le métier à l'ouvrage. Bien qu'il avait commencé, du vivant même de Serigne Saliou, à se rapprocher habilement de celui qui allait lui succéder. On se souvient en effet de la visite qu'il avait projeté de faire auprès de la famille de Serigne Fallou dans le sillage de celle qu'il avait rendue à feu Serigne Mbacké Sokhna Lô. Mais une visite qui, rien qu'à l'annonce, avait suscité un tel tollé qu'elle a fini par capoter, avant d'être purement et simplement annulée. Seulement, la dernière sortie publique de Serigne Bara avant qu'il n'ait à assurer la succession de Serigne Saliou peut laisser supposer que le rapprochement a pu se faire avec Wade et son proche entourage dont Karim Wade. Pour rappel, le président de l'Anoci et Conseiller spécial du président s'était vu convier à une vaste opération de nettoiement par le Mouvement Beuge Touba qui en avait même fait le parrain de la manifestation. Avant que de jeunes marabouts, sous la houlette de Serigne Djily Bousso, ne le déclarent persona non grata sous prétexte que la manifestation avait des relents politiques et qu'elle était une entorse à l'ordre donné à l'époque par Serigne Saliou de ne plus politiser la ville sainte. Ce fatwa décrété contre Karim Wade par ces jeunes marabouts ne sera pas du goût du désormais khalife de Touba qui fit savoir à qui voulait l'entendre que le fils du président était le bienvenu à Touba. Et quiconque entravera sa visite le trouvera sur son chemin. Cette prise de position présage-t-elle du soutien de l'actuel khalife à Karim Wade au cas où ce dernier voudra enfin officialiser sa descente dans l'arène politique? Certains le pensent. Comme ils voient aussi dans la dernière visite de Wade auprès de Serigne Bara en compagnie de son fils une manière de faire rentrer celui-ci dans les bonnes grâces du successeur de Serigne Saliou. Mais Serigne Bara franchira-t-il le Rubicon? Ira-t-il jusqu'à afficher ouvertement son soutien au dauphin supposé de Wade au risque de mettre en péril son autorité? Le bon sens voudrait, en tout cas, que conscient de la fragilité de celle-ci, il se garde de toute prise de position en faveur de Wade. Et plus encore à l'égard du président de l'Anoci. « S'il se garde de toute posture politique, il pourrait même être plus charismatique que Serigne Saliou, porté par l'aura de son illustre père, Serigne Fallou. Sinon, il mettrait en péril l'unité de la confrérie, car il ne manquera pas des petits-fils pour adopter des positions contraires et qui le lui feront savoir », avertit Serigne Fallou Dieng du Cercle des Intellectuels Soufis. Toujours est-il que le Sopi qui ne s'attendait pas à pareil scénario a de quoi être inquiet. « La disparition de Serigne Saliou intervient dans un contexte particulièrement délicat où le pays est en proie à une crise sociale et économique, sans oublier toutes les incertitudes qui planent à présent sur la tenue du sommet de l'GCI et l'affaire Macky Sall », fait remarquer un de nos interlocuteurs. Wade qui a toujours espéré, et surtout travaillé, pour s'assurer le soutien de Serigne Saliou en vue de traverser toutes ces épreuves devra absolument déployer une toute autre opération de séduction à l'endroit de son successeur. Ce qui passera sûrement par l'intermédiaire qu'il a demandé au nouveau khalife de lui designer. Comme ce fut le cas avec Matar Diakhaté sous le règne de Serigne Saliou. Seulement, en aura-t-il le temps? Quant à Karim Wade, il a déjà une longueur de retard vis-à-vis de ses concurrents directs à la succession que sont Macky Sall et Idrissa Seck qui ont su établir des relations personnalisées avec la grande famille de Touba. Tout comme d'ailleurs l'opposition, notamment le Parti socialiste dont le Secrétaire général Ousmane Tanor Dieng a manifestement ses entrées dans la ville sainte et particulièrement auprès de la famille de l'actuel khalife. Là où Karim Wade s'y est toujours pris sous couvert de son président de père, comme à l'occasion de la dernière visite de Wade auprès du nouveau khalife. En somme, rien de vraiment rassurant pour le Sopi. Surtout qu'une vieille tradition assez répandue dans la conscience mouride voudrait que tout chef d'État ayant bénéficié de l'appui d'un khalife général voit systématiquement son étoile pâlir à la disparition de ce dernier. On l'a déjà vu avec Senghor à la disparition de Serigne Fallou, puis avec Diouf après le décès de Serigne Abdou Lahad. Alors, ne dit-on pas qu'il n'y a jamais deux sans trois?
Momar DIONGUE
Source: Nouvel Horizon