
Seigneur, pardonnez l’outrecuidance de mes aveux, car devant le Trône éternel, le verbe devient tout de vérité. L’étrange paradoxe de mon arrivée au pouvoir. C’est un peuple auquel je n’ai jamais eu confiance et auquel j’avais retiré ma dernière parcelle d’espoir de le voir un jour me confier son destin, qui m’accorda sa confiance de la manière la plus inattendue. Pourtant, cette confiance n’était pas la rétribution d’un mérite personnel à partir de ce que j’ai pu lui offrir comme gage de fiabilité de ma trajectoire politique. Elle était sûrement le produit de l’onction de légitimité que m’a conférée le soutien quasi-unanime de l’opposition politique, dont une frange avait écrit de belles pages de l’histoire de la lutte du peuple pour l’indépendance, la démocratie et le progrès social et d’un contexte national tout acquis au changement.
En vérité, le pouvoir m’est tombé entre les mains, comme un fruit mûr de l’arbre. Inutile de dire que ce fut une aubaine. Moi que les campagnes onéreuses et infructueuses avaient totalement ruiné et installé durablement dans la dèche financière, au point que sans renoncer publiquement à la politique, je me fus contraint à l’exil, outre–atlantique, loin de mes ouailles. Songez que mon âge avancé me portait de moins en moins aux joutes politiques de terrain et mettait, chaque jour, un peu plus de bémol à ma passion politique.
Cet âge de la vie est souvent celui des remords, des doutes, des regrets et parfois même du reniement des choses et des êtres auxquels on était si attaché. Bref, c’est le temps de la solitude, de la conscience de la facticité du lien social, le temps de la sensation de la vacuité d’un monde dont on ne perçoit plus les clameurs et les couleurs.
La ruse a été le credo de ma gouvernance
Tout le temps de mon magistère, j’ai eu la prouesse d’ériger la ruse en méthode de gouvernement. Mon goût immodéré du pouvoir et des honneurs qui lui sont attachés, m’inclinait très peu à me soucier de règles éthiques. Le faux serment, la félonie, la duperie et la tricherie n’étaient pour moi que les facéties de toute une panoplie politique permettant de conserver le pouvoir.
De ce point de vue, le discours n’engage que celui qui l’écoute et le signal émis perd sa fonction d’alerte pour remplir justement, sa mission consistant à dérouter les adversaires politiques et l’opinion publique. Car, j’ai toujours été attentif au décor planté en démocratie, dont je n’ignorais point les vertus, mais dont, du fond de moi–même, je réprouvais les inamovibles obligations.
Car, pour moi, la démocratie pouvait être un moyen d’accéder au pouvoir mais sans doute pas, celui d’y rester. Avant d’aller à des élections, il faut s’assurer de les remporter. Le calendrier électoral était donc indéfiniment révisable et le fichier électoral, piégé à cette fin.
En réalité, la démocratie est une illusion politique. Le pouvoir sert le pouvoir et non le peuple. Et pour abjecte qu’elle fût, telle fut ma conviction.
Cette conviction fondamentale, je l’eus tirée de deux convictions liées.
Le peuple a besoin de mythifier le guide pour le porter au pouvoir et l’y conserver, même contre ses intérêts. Donc, pour rester au pouvoir, le guide doit cultiver et entretenir le mythe en permanence.
Cette exigence double en entraîne une autre : celle de se forger l’image d’un champion invincible.
Une démocratie suppose plusieurs champions capables chacun de prendre le dessus sur ses adversaires. L’invincibilité n’est donc pas une valeur démocratique. C’est un concept allogène au langage démocratique. Et pourtant, il me fallut être invincible. Ainsi, intérieurement, acquis–je la certitude que je fus un monarque dans les habits étranges d’un président de République.
Mais l’invincibilité ne se décrète pas, elle se construit. Elle requiert une stratégie appuyée sur des choix tactiques, dont le premier est d’avoir une avance sur ses adversaires.
La détention du pouvoir et les moyens qu’elle offre constituèrent pour moi cette avance, sans scrupule ! A ce stade de mon parcours présidentiel, je devais conserver à défaut de la creuser, l’avance ainsi acquise sur mes concurrents.
Le moyen trouvé fut d’instaurer une confrontation politique sans répit, en posant quotidiennement des actes de provocation, histoire de donner du grain à moudre à l’opposition, qui n’aurait pas ainsi le temps de combler son retard.
Au même moment, je fis d’une pierre deux coups en accentuant ainsi la fracture entre les luttes politiques de l’opposition et les préoccupations vitales du peuple.
Bien inspiré fut le voleur poursuivi par des chiens, de leur balancer un os chaque fois qu’il était sur le point d’être rattrapé par la meute.
Le peuple a besoin d’être trompé en permanence
Ma conviction fut que la vérité est caustique et donc rebutante pour les hommes. La tromperie entretient le mythe en éloignant l’horizon du rêve chaque jour un peu plus. La vérité en tant que rapport à la réalité constitue la négation même du rêve et une limite dans la projection vers le souhaité ; l’homme se complaisant plus à l’incertitude qu’à une maîtrise rationnelle de son destin. Le peuple a un besoin inné d’obéissance, qui le prédispose à s’identifier à une élite individuelle ou collective. L’élite est faillible, le peuple l’est aussi, avec elle. A force de faire des promesses non tenues, je conditionnais le peuple, à la manière du réflexe pavlovien, à se résigner dans un espoir sans conviction.
Tous les moyens sont bons pour accéder au pouvoir. Tous les moyens sont bons pour y rester.
L’image projetée à l’étranger rejaillit sur le pouvoir et son chef, d’où la nécessité d’en prendre bon soin par d’éternelles opérations cosmétiques.
Tout messianisme est inséparable d’une caste de sous-fifres, laudateurs repus et attitrés, rivalisant de talent dans l’exaltation du messie et la répétion machinale de ses slogans.
Au plan intérieur, la République, ma République, doit devenir courtisane des centres de dépôt de l’autorité traditionnelle ou confessionnelle.
L’essentiel en politique est toujours d’avoir un nouveau projet en dépit de l’échec des projets antérieurs, le discours politique épousant invariablement une hyperbole de paris ubuesques.
La sédimentation de la colère finit par jeter mon pouvoir dans la panique et le désarroi. Seul, tout seul, je me sentis si seul…
Désormais, conscient d’être devenu un président perdu, il ne me restait plus qu’à travailler à installer mon fils biologique au pouvoir, pour éviter demain, de devoir rendre des comptes à mon peuple….
Mon Dieu ! Je suis toujours vivant …
Il n’est jamais trop tard d’arrêter dans la voie de la perdition.
Cheikh GUEYE - Membre du B.P de la Ld/Mpt - Responsable des questions économiques Coordination des Cadres.
Source: Le Quotidien
En vérité, le pouvoir m’est tombé entre les mains, comme un fruit mûr de l’arbre. Inutile de dire que ce fut une aubaine. Moi que les campagnes onéreuses et infructueuses avaient totalement ruiné et installé durablement dans la dèche financière, au point que sans renoncer publiquement à la politique, je me fus contraint à l’exil, outre–atlantique, loin de mes ouailles. Songez que mon âge avancé me portait de moins en moins aux joutes politiques de terrain et mettait, chaque jour, un peu plus de bémol à ma passion politique.
Cet âge de la vie est souvent celui des remords, des doutes, des regrets et parfois même du reniement des choses et des êtres auxquels on était si attaché. Bref, c’est le temps de la solitude, de la conscience de la facticité du lien social, le temps de la sensation de la vacuité d’un monde dont on ne perçoit plus les clameurs et les couleurs.
La ruse a été le credo de ma gouvernance
Tout le temps de mon magistère, j’ai eu la prouesse d’ériger la ruse en méthode de gouvernement. Mon goût immodéré du pouvoir et des honneurs qui lui sont attachés, m’inclinait très peu à me soucier de règles éthiques. Le faux serment, la félonie, la duperie et la tricherie n’étaient pour moi que les facéties de toute une panoplie politique permettant de conserver le pouvoir.
De ce point de vue, le discours n’engage que celui qui l’écoute et le signal émis perd sa fonction d’alerte pour remplir justement, sa mission consistant à dérouter les adversaires politiques et l’opinion publique. Car, j’ai toujours été attentif au décor planté en démocratie, dont je n’ignorais point les vertus, mais dont, du fond de moi–même, je réprouvais les inamovibles obligations.
Car, pour moi, la démocratie pouvait être un moyen d’accéder au pouvoir mais sans doute pas, celui d’y rester. Avant d’aller à des élections, il faut s’assurer de les remporter. Le calendrier électoral était donc indéfiniment révisable et le fichier électoral, piégé à cette fin.
En réalité, la démocratie est une illusion politique. Le pouvoir sert le pouvoir et non le peuple. Et pour abjecte qu’elle fût, telle fut ma conviction.
Cette conviction fondamentale, je l’eus tirée de deux convictions liées.
Le peuple a besoin de mythifier le guide pour le porter au pouvoir et l’y conserver, même contre ses intérêts. Donc, pour rester au pouvoir, le guide doit cultiver et entretenir le mythe en permanence.
Cette exigence double en entraîne une autre : celle de se forger l’image d’un champion invincible.
Une démocratie suppose plusieurs champions capables chacun de prendre le dessus sur ses adversaires. L’invincibilité n’est donc pas une valeur démocratique. C’est un concept allogène au langage démocratique. Et pourtant, il me fallut être invincible. Ainsi, intérieurement, acquis–je la certitude que je fus un monarque dans les habits étranges d’un président de République.
Mais l’invincibilité ne se décrète pas, elle se construit. Elle requiert une stratégie appuyée sur des choix tactiques, dont le premier est d’avoir une avance sur ses adversaires.
La détention du pouvoir et les moyens qu’elle offre constituèrent pour moi cette avance, sans scrupule ! A ce stade de mon parcours présidentiel, je devais conserver à défaut de la creuser, l’avance ainsi acquise sur mes concurrents.
Le moyen trouvé fut d’instaurer une confrontation politique sans répit, en posant quotidiennement des actes de provocation, histoire de donner du grain à moudre à l’opposition, qui n’aurait pas ainsi le temps de combler son retard.
Au même moment, je fis d’une pierre deux coups en accentuant ainsi la fracture entre les luttes politiques de l’opposition et les préoccupations vitales du peuple.
Bien inspiré fut le voleur poursuivi par des chiens, de leur balancer un os chaque fois qu’il était sur le point d’être rattrapé par la meute.
Le peuple a besoin d’être trompé en permanence
Ma conviction fut que la vérité est caustique et donc rebutante pour les hommes. La tromperie entretient le mythe en éloignant l’horizon du rêve chaque jour un peu plus. La vérité en tant que rapport à la réalité constitue la négation même du rêve et une limite dans la projection vers le souhaité ; l’homme se complaisant plus à l’incertitude qu’à une maîtrise rationnelle de son destin. Le peuple a un besoin inné d’obéissance, qui le prédispose à s’identifier à une élite individuelle ou collective. L’élite est faillible, le peuple l’est aussi, avec elle. A force de faire des promesses non tenues, je conditionnais le peuple, à la manière du réflexe pavlovien, à se résigner dans un espoir sans conviction.
Tous les moyens sont bons pour accéder au pouvoir. Tous les moyens sont bons pour y rester.
L’image projetée à l’étranger rejaillit sur le pouvoir et son chef, d’où la nécessité d’en prendre bon soin par d’éternelles opérations cosmétiques.
Tout messianisme est inséparable d’une caste de sous-fifres, laudateurs repus et attitrés, rivalisant de talent dans l’exaltation du messie et la répétion machinale de ses slogans.
Au plan intérieur, la République, ma République, doit devenir courtisane des centres de dépôt de l’autorité traditionnelle ou confessionnelle.
L’essentiel en politique est toujours d’avoir un nouveau projet en dépit de l’échec des projets antérieurs, le discours politique épousant invariablement une hyperbole de paris ubuesques.
La sédimentation de la colère finit par jeter mon pouvoir dans la panique et le désarroi. Seul, tout seul, je me sentis si seul…
Désormais, conscient d’être devenu un président perdu, il ne me restait plus qu’à travailler à installer mon fils biologique au pouvoir, pour éviter demain, de devoir rendre des comptes à mon peuple….
Mon Dieu ! Je suis toujours vivant …
Il n’est jamais trop tard d’arrêter dans la voie de la perdition.
Cheikh GUEYE - Membre du B.P de la Ld/Mpt - Responsable des questions économiques Coordination des Cadres.
Source: Le Quotidien