Dans cette brousse noire, les baobabs, les divers arbustes, étaient tels des fichiers figés, fixés, dans le sol. Sébikhotane, Pout, Thiès, bretelle nationale vers Diourbel, Mbacké, nous roulons toujours. A travers les impairs, les mille et un piège de traîtres routes.
Parmi ces innombrables inconnus et autres personnalités récemment fauchées, nous avons une pieuse pensée pour Abdoul Latif Guèye. Ah Jo, ainsi, il était dit que tu t'en irais avant moi ?
Bambey, 23 heures 17 minutes. Il nous faut rallier Niakhar. Puis Ndiadiakh. Sur une route nationale d'Afrique, quelque soit l'heure, il existe toujours une lueur amie. Débarqué de notre taxi qui continuait sa route vers Diourbel, nous nous essoufflons. Juste le temps de désengourdir nos muscles, d'uriner et de mâcher: quelques lampées d'un sandwich rassis. Puis, nous tombons sur le dernier driver du coin. Il nous propose de nous conduire jusqu'au domicile de Mère Khane moyennant six mille francs Cfa. Comment refuser à une pareille heure ? Surtout qu'il nous permet d'éviter la périlleuse étape de Niakhar. Avec son relais à bord d'une charrette.
Nous voilà, alors, engagé dans un autre voyage sur les pistes dans la nuit noire. Nuit d'une triste noirceur où seules les étoiles, la lune et la lumière de rares voitures s'aventurant là, sont les repères. D'ailleurs, ici, à plus d'un mille à la ronde, le bois fait place à la savane. Un bois où les pistes sont d'argile sèche. Des pistes telles des sillons. Des pistes abruptes et dangereuses. La moindre erreur de conduite peut se révéler mortelle. Mais, n'est-ce pas qu'il faut bien mourir de quelque chose ? Alors, dans le noir de la nuit de ce bois pas du tout comme les autres, notre carrosse filait à une allure désemparante vers Niakhar, pour rallier Ndiadiakh. II nous aura fallu plus d'une heure pour amorcer les lacets et les crabotages les plus cyniques de ces pistes. Mais, enfin, zéro heure passée de plusieurs minutes. Nous voilà à Ndiadiakh. Entre les communautés rurales de Niakhar, de Patar et de Ngoye. Dans les nettes limites des régions de Fatick et de Diourbel, vous êtes à Ndiadiakh. Un antique village de 134 ans. Fondé par l'ancêtre Amath Faye. Ses arrières petits-fils y vivent toujours. Pourtant, malgré sa relative proximité avec la route nationale, ce bourg de 1130 habitants, ne compte ni forage, ni poste de santé, ni électricité. Dès lors, si, elles ne sont libérées par d'intrépides matrones, les femmes enceintes s'en vont encore risquer leur vie à bord des charrettes vers Bambey.
Ndiadiakh ! Ici, de célèbres rois Sereer sont passés. Entre autres, Guéléwar Djata Wagan. Celui-là même qui a disparu à califourchon sur son pur sang le sabre dégainé haut vers le ciel. L'on raconte encore qu'il s'en est allé réclamer à Rôg sa bien-aimée dont il ne s'est jamais remis de la cruelle perte. Salmon Faye, roi, parmi les plus craints du Sine à son temps. Ah ce farouche roi ceddo dont la tombe est surmontée d'un pimentier. Alboury Ndiaye. Samba Laobé Fall. Silmakha Diop et ses hordes de braves. Malgré l’heure tardive, sous le fromager géant debout au milieu des premières concessions de Ndiadiakh, des notables guettaient notre arrivée. Après les salamalecs d'usage, Chérif Diop, le fils aîné du chef du village est désigné pour nous conduire au domicile de Mère Khane. Ici, encore, au milieu de la concession, des femmes entre deux âges, des morveux causaient gaiement en guettant notre arrivée. «Ah c'est vous le journaliste qui avait téléphoné cet après midi?», m'interroge-t-on. J'acquiesce. Longs salamalecs d'usages avant qu'on ne m’introduit dans la case de la vieille saltigué. Je lui rappelle les motifs de ma visite. Elle me rétorque qu'il faut au préalable offrir un cadeau royal aux gens de la maisonnée. Qu'il faut, aussi, qu’elle s’en ouvre à son époux et chef de famille. Enfin, nous convenons d’en reparler au matin. Je sors pour retrouver une place parmi les gens installés sous un arbre au milieu de la concession. On m'offre un bol de riz blanc au poisson et un bol d'eau. Je n'ai ni faim, ni soif. Mais, là-bas, dans le Sine et le Baol sacrés, l'hospitalité ne se refusant point, je goutte un peu. Je passe plus d'une heure à échanger avec les enfants de mon hôte. A la fin, sentant que j'étais épuisé, on intime à Chérif Diop, le fils aîné du chef de village de m'amener dormir dans sa case.
Au réveil, nous avons eu le loisir de constater de visu combien les matins sont féeriques à Ndiadiakh. Les bêtes domestiques ; moutons, chèvres, vaches, chevaux, poules, poussins et coqs picorent et becquettent dans les mêmes bols et calebasses que les humains.
LE GENIE DE NDIADIAKH
Ce qui suit n'est point de l'affabulation. Mais, c'est à inscrire sur un de ces mystérieux phénomènes propres à l'Afrique. Pour dormir à Ndiadiakh, il faut souffrir en vision l'image de son génie. On n'en sort toujours pas entier, et encore moins, vivant. Raison pour laquelle, par mesure de précaution, l'on vous exige votre pièce d'identité. Pour au cas ou vous ne vous réveillez pas, pouvoir aviser qui de droit.
UNE FEMME CLAIRE SAIGNÉE À VIF
En bandoulière, une charrue tirée par elle grâce à la rotation d'un coeur ouvert et battant
La case de Chérif Diop est une case aussi ordinaire que toutes les autres cases. Toiture de branchage surmontée par de la paille. Cloison en banco. Enduit à la bouse de vache peinte en ocre. Dedans, un lit en bois rustique. C'est couvert par un matelas de paille ensaché par des sacs de jute. Des pointes fixées sur le mur servent de pendentifs. Après un dernier verre de cette eau saumâtre et gluante de Ndiadiakh, étalé à côté de notre hôte, on veut faire dodo. Seulement, malgré l'extrême fatigue qui prend n'importe quelle personne ayant rallié ce bourg, le sommeil vient difficile. D'ailleurs, un étranger dort-il vraiment lors de sa première nuit à Ndiadiakh ? Parce que, forcément, il faut affronter la vision de l'image du génie tutélaire des lieux. Absolument rien à voir avec un cauchemar, vous dit-on. Un instant, alors que vous croyez vraiment que le sommeil vous prend, c'est tout comme si, une force surnaturelle vous tient éveillé et vous subjugue avec l'inénarrable et horripilante image du génie. C'est une femme de teint clair. Le voile blanc dont elle est vêtue suinte partout du sang. Tout autour d'elle, une foule la lapide vivante. Chacun y va avec son bistouri d'infortune. Pour piquer de ce sang de la curieuse dame de teint clair. Curieux, parce que ce châtiment inexpliqué ne semble nullement l'ébranler. Et, encore moins, la faire souffrir. On la voit même qui tente de sourire. Ou alors, de dandiner nonchalamment...
Un instant, on plisse fortement ses yeux. Question de vérifier si on dort. Si on est éveillé. Mais, dans le noir de cette case rustique hermétiquement close, on ne peut se fier à rien. Au contraire, une autre image de la dame va encore défiler. Cette fois-ci, elle a en bandoulière une charrue. Mais, la charrue est tirée par un cœur humain ouvert et battant...
Au réveil de cette nuit sans sommeil, notre hôte nous explique que nous avions résisté à l'épreuve de la première nuit à Ndiadiakh.
Source: Pic Hebdo
Parmi ces innombrables inconnus et autres personnalités récemment fauchées, nous avons une pieuse pensée pour Abdoul Latif Guèye. Ah Jo, ainsi, il était dit que tu t'en irais avant moi ?
Bambey, 23 heures 17 minutes. Il nous faut rallier Niakhar. Puis Ndiadiakh. Sur une route nationale d'Afrique, quelque soit l'heure, il existe toujours une lueur amie. Débarqué de notre taxi qui continuait sa route vers Diourbel, nous nous essoufflons. Juste le temps de désengourdir nos muscles, d'uriner et de mâcher: quelques lampées d'un sandwich rassis. Puis, nous tombons sur le dernier driver du coin. Il nous propose de nous conduire jusqu'au domicile de Mère Khane moyennant six mille francs Cfa. Comment refuser à une pareille heure ? Surtout qu'il nous permet d'éviter la périlleuse étape de Niakhar. Avec son relais à bord d'une charrette.
Nous voilà, alors, engagé dans un autre voyage sur les pistes dans la nuit noire. Nuit d'une triste noirceur où seules les étoiles, la lune et la lumière de rares voitures s'aventurant là, sont les repères. D'ailleurs, ici, à plus d'un mille à la ronde, le bois fait place à la savane. Un bois où les pistes sont d'argile sèche. Des pistes telles des sillons. Des pistes abruptes et dangereuses. La moindre erreur de conduite peut se révéler mortelle. Mais, n'est-ce pas qu'il faut bien mourir de quelque chose ? Alors, dans le noir de la nuit de ce bois pas du tout comme les autres, notre carrosse filait à une allure désemparante vers Niakhar, pour rallier Ndiadiakh. II nous aura fallu plus d'une heure pour amorcer les lacets et les crabotages les plus cyniques de ces pistes. Mais, enfin, zéro heure passée de plusieurs minutes. Nous voilà à Ndiadiakh. Entre les communautés rurales de Niakhar, de Patar et de Ngoye. Dans les nettes limites des régions de Fatick et de Diourbel, vous êtes à Ndiadiakh. Un antique village de 134 ans. Fondé par l'ancêtre Amath Faye. Ses arrières petits-fils y vivent toujours. Pourtant, malgré sa relative proximité avec la route nationale, ce bourg de 1130 habitants, ne compte ni forage, ni poste de santé, ni électricité. Dès lors, si, elles ne sont libérées par d'intrépides matrones, les femmes enceintes s'en vont encore risquer leur vie à bord des charrettes vers Bambey.
Ndiadiakh ! Ici, de célèbres rois Sereer sont passés. Entre autres, Guéléwar Djata Wagan. Celui-là même qui a disparu à califourchon sur son pur sang le sabre dégainé haut vers le ciel. L'on raconte encore qu'il s'en est allé réclamer à Rôg sa bien-aimée dont il ne s'est jamais remis de la cruelle perte. Salmon Faye, roi, parmi les plus craints du Sine à son temps. Ah ce farouche roi ceddo dont la tombe est surmontée d'un pimentier. Alboury Ndiaye. Samba Laobé Fall. Silmakha Diop et ses hordes de braves. Malgré l’heure tardive, sous le fromager géant debout au milieu des premières concessions de Ndiadiakh, des notables guettaient notre arrivée. Après les salamalecs d'usage, Chérif Diop, le fils aîné du chef du village est désigné pour nous conduire au domicile de Mère Khane. Ici, encore, au milieu de la concession, des femmes entre deux âges, des morveux causaient gaiement en guettant notre arrivée. «Ah c'est vous le journaliste qui avait téléphoné cet après midi?», m'interroge-t-on. J'acquiesce. Longs salamalecs d'usages avant qu'on ne m’introduit dans la case de la vieille saltigué. Je lui rappelle les motifs de ma visite. Elle me rétorque qu'il faut au préalable offrir un cadeau royal aux gens de la maisonnée. Qu'il faut, aussi, qu’elle s’en ouvre à son époux et chef de famille. Enfin, nous convenons d’en reparler au matin. Je sors pour retrouver une place parmi les gens installés sous un arbre au milieu de la concession. On m'offre un bol de riz blanc au poisson et un bol d'eau. Je n'ai ni faim, ni soif. Mais, là-bas, dans le Sine et le Baol sacrés, l'hospitalité ne se refusant point, je goutte un peu. Je passe plus d'une heure à échanger avec les enfants de mon hôte. A la fin, sentant que j'étais épuisé, on intime à Chérif Diop, le fils aîné du chef de village de m'amener dormir dans sa case.
Au réveil, nous avons eu le loisir de constater de visu combien les matins sont féeriques à Ndiadiakh. Les bêtes domestiques ; moutons, chèvres, vaches, chevaux, poules, poussins et coqs picorent et becquettent dans les mêmes bols et calebasses que les humains.
LE GENIE DE NDIADIAKH
Ce qui suit n'est point de l'affabulation. Mais, c'est à inscrire sur un de ces mystérieux phénomènes propres à l'Afrique. Pour dormir à Ndiadiakh, il faut souffrir en vision l'image de son génie. On n'en sort toujours pas entier, et encore moins, vivant. Raison pour laquelle, par mesure de précaution, l'on vous exige votre pièce d'identité. Pour au cas ou vous ne vous réveillez pas, pouvoir aviser qui de droit.
UNE FEMME CLAIRE SAIGNÉE À VIF
En bandoulière, une charrue tirée par elle grâce à la rotation d'un coeur ouvert et battant
La case de Chérif Diop est une case aussi ordinaire que toutes les autres cases. Toiture de branchage surmontée par de la paille. Cloison en banco. Enduit à la bouse de vache peinte en ocre. Dedans, un lit en bois rustique. C'est couvert par un matelas de paille ensaché par des sacs de jute. Des pointes fixées sur le mur servent de pendentifs. Après un dernier verre de cette eau saumâtre et gluante de Ndiadiakh, étalé à côté de notre hôte, on veut faire dodo. Seulement, malgré l'extrême fatigue qui prend n'importe quelle personne ayant rallié ce bourg, le sommeil vient difficile. D'ailleurs, un étranger dort-il vraiment lors de sa première nuit à Ndiadiakh ? Parce que, forcément, il faut affronter la vision de l'image du génie tutélaire des lieux. Absolument rien à voir avec un cauchemar, vous dit-on. Un instant, alors que vous croyez vraiment que le sommeil vous prend, c'est tout comme si, une force surnaturelle vous tient éveillé et vous subjugue avec l'inénarrable et horripilante image du génie. C'est une femme de teint clair. Le voile blanc dont elle est vêtue suinte partout du sang. Tout autour d'elle, une foule la lapide vivante. Chacun y va avec son bistouri d'infortune. Pour piquer de ce sang de la curieuse dame de teint clair. Curieux, parce que ce châtiment inexpliqué ne semble nullement l'ébranler. Et, encore moins, la faire souffrir. On la voit même qui tente de sourire. Ou alors, de dandiner nonchalamment...
Un instant, on plisse fortement ses yeux. Question de vérifier si on dort. Si on est éveillé. Mais, dans le noir de cette case rustique hermétiquement close, on ne peut se fier à rien. Au contraire, une autre image de la dame va encore défiler. Cette fois-ci, elle a en bandoulière une charrue. Mais, la charrue est tirée par un cœur humain ouvert et battant...
Au réveil de cette nuit sans sommeil, notre hôte nous explique que nous avions résisté à l'épreuve de la première nuit à Ndiadiakh.
Source: Pic Hebdo