Il est 22 heures. Nous sommes dans les artères du centre ville de la capitale sénégalaise en cette période estivale. Ici, les lampadaires éclairent les lieux qui commencent à être très calmes. Un groupe de huit garçonnets attire notre attention. Contrairement aux noctambules qui assaillent les restaurants huppés de la place, ces enfants déclarent être âgés entre 10 et 16 ans, squattent les ruelles. Au moment où des gamins de leur âge sont à l’école et sont entourés de leurs familles, eux sont constamment dehors. Habillés en haillons et pieds nus, sacs de riz vides ou cartons entre les mains, ils cherchent un endroit pour dormir. Arrivés à hauteur d’une boutique fermée à cette heure avancée de la nuit, le plus âgé étale son carton et se couche. Les autres le suivent sans piper mot. A la question de savoir ce qu’ils font là, Assane, l’un d’entre eux tente de donner une réponse. Très précoce pour ses 14 hivernages, vêtu d’un tee shirt blanc déchiré et d’un jean bleu délavé, couché sur un sac de riz vide, la tête posée sur une brique de fortune, le jeune affirme tout en détournant son regard : « Je suis devenu un enfant de la rue il y a de cela 1 an. Tout a commencé lorsque mon père m’a conduit à l’école coranique qui se trouve dans un village très reculé. Et mon maître ne cessait de me taper. Alors j’ai fugué et je suis rentré chez moi dans la banlieue. Mais mon père n’a pas voulu me garder. Il m’a ramené. Et le maître est encore devenu plus méchant. C’est en ce moment que je suis parti pour une seconde fois. Mais cette fois ci je ne suis pas allé chez moi de peur que mes parents me ramènent encore une fois. Je sais que ce n’est pas bien pour un enfant de vivre loin de ses parents. Mais bon je préfère mille fois rester éternellement dans la rue que de retourner au pré de mon marabout ». Son voisin qui est le plus frêle du groupe quant à lui donne une autre version. Agé seulement de 12 ans, la tête recouverte de plaies à peine cicatrisées, habillé d’une culotte soutenue par un coupon de tissu qui lui sert de ceinture, ainsi qu’une chemise qui laisse apparaître son petit ventre, il soutient d’un ton calme. « Mo, j’ai toujours grandi dans la rue. Ma maman est mendiante depuis que je suis né. Nous passions tous les deux la nuit à la belle étale tout juste après le restaurant Ali Baba. Mais maintenant, elle vient d’avoir un bébé. Et moi j’ai grandi. Ce qui fait que le soir je me débrouille pour dormir mais on se retrouve le matin pour mendier ensemble. Cela ne me pose pas de problème parce que j’ai l’habitude et j’ai toujours vécu de cette façon. »
C’est ainsi que ces gamins sont laissés à eux même, sans aucune protection ni le jour ni la nuit. Pour survivre donc, ils se débrouillent du mieux qu’ils peuvent pour gagner un peu d’argent. Samba, le plus âgé d’entre eux est le chef du groupe. Fier de son rôle d’aîné, il raconte son quotidien. Vêtu d’un pantalon noir et d’un Lacoste rouge, ses jambes dépassent largement son carton qui lui sert de lit, notre interlocuteur affirme : «En quittant mon village, je ne savais pas que j’allais être un enfant de la rue parce que je croyais que Dakar était l’eldorado du Sénégal. Mais une fois arrivé ici, mes rêves se sont envolés. J’étais logé au départ chez mon oncle qui disposait d’une seule et unique chambre pour toute sa famille dans la banlieue. Mais étant donné la situation, je ne pouvais pas éternellement rester chez lui. Et c’est ainsi que j’ai quitté son domicile pour voler de mes propres ailes. Je voulais dans un premier temps retourner chez moi mais j’ai pu trouver un emploi en tant que porteur au marché "Sandinièry" (un marché de fruits qui se trouve à Sandaga). Mon travail consiste à aider les clients à transporter les fruits achetés. Au départ, c’était vraiment difficile mais bon tenu. Il m’arrivait de rester éveillé toute la nuit parce que les gardiens me chassaient. C’est par la suite que j’ai connu mes potes comme cela et depuis, nous nous retrouvons ici chaque nuit pour dormir même si le matin, chacun vaque à ses occupations. Bon je ne me plains pas trop parce que je gagne quand même quelque chose qui me permet d’aider la famille une fois rentré chez moi. » Si ce jeune homme compte regagner son domicile sous peu, d’autres par compte, n’y songent même pas. Et le nombre d’enfants qui sont dans la rue reste quand même très important. Cheikh Saliou Mbacké Diouf, sociologue, explique: « Le fort taux d’urbanisation avec l’exode rural massif des populations qui quittent les villages vers la capitale, le manque de travail, la création des banlieues sont entre autre les principales causes de l’aggravation du phénomène des enfants de la rue. Il s’y ajoute qu’un enfant qui n’est pas pris en charge ni par l’Etat, ni par sa famille n’a que la rue comme domicile ». Et le sociologue de poursuivre : « Bien qu’il y ait beaucoup d’O.N.G. qui oeuvrent pour les droits de l’enfant, l’Etat agit timidement. Et c’est notre pays qui en pâtit tout simplement car ce fléau engendre beaucoup de conséquences tels que le banditisme, avec un fort taux de criminalité, la drogue, les violences notées dans la rue, ainsi que d’énormes problèmes d’insertion ».
Parmi les structures qui aident les enfants dont parle notre interlocuteur, « l’Empire des Enfants » est une parfaite illustration. Ce centre d’accueil qui était au départ un refuge ou des enfants passaient la journée pour ensuite retourner la nuit dans les rues est devenu un véritable foyer pour des nombreux enfants en difficultés. Mame Fatou Diop, coordinatrice de l’Empire des Enfants, explique :« Notre foyer accueille tous les enfants de la rue. Et même si notre capacité d’ébergement est de 25 personnes, il nous arrive parfois de dépasser largement ce nombre parce qu’on n’a pas le droit de refuser l’aide à un enfant en difficultés. Ici, nous leur apprenons un métier, tout en essayant quand même de les rééduquer. Mais, il faut préciser que l’Empire n’est pas une maison mais un centre d’accueil. Donc tout au long de leur séjour ici, nous faisons comprendre aux enfants que leur place n’est pas ici mais dans leurs maisons. Et nous recherchons la famille de l’enfant avant de faire la médiation entre lui et ses parents, une fois rentré chez lui, nous continuons à le suivre pour qu’il ne récidive pas. Et la plus part des enfants qui sont passés à l’Empire ont réussi leur réinsertion. Ces enfants retournent soit à l’école, soit poursuivent le métier qu’ils ont appris ici. »
L’attitude des enfants trouvé dans ce foyer confirme les propos de Mme Diop. Visages rayonnants, vêtus d’habits propres, ces enfants jouent au baby-foot dans la cour de ce temple. Après avoir parcouru les rues de Dakar pieds nus, ces enfants affirment qu’ils sont bien pris en charge et mangent à leur faim contrairement au moment ou ils étaient dans la rue. Un jeune homme de 18 ans, sénégambien bon teint et qui est à « l’Empire » depuis fin 2005, témoigne : « J’ai quitté ma Gambie natale sans l’avale de mes parents après que J’ai eu des difficultés dans mon école. Arrivé dans la capitale sénégalaise où je ne connaissais personne, j’avais naturellement des problèmes pour m’en sortir. J’ai sillonné les rues, et dormi sous la belle étoile jusqu’à ce que je retrouve l’empire des enfants qui m’a accueilli et m’a beaucoup aidé. D’ailleurs, il (l’Empire) le fait pour tous les enfants en difficultés. Et aujourd’hui si j’ai pu me réconcilier avec mes parents, c’est grâce à l’Empire. Mieux encore, j’ai pu bénéficier d’une formation en tant qu’animateur de cirque en Suède. Je fais des spectacles deux fois par semaine ici et les autres enfants peuvent venir se divertir. Ce qui est bien, c’est que je vais rentrer chez moi avec un métier qui me permettra de gagner ma vie. Pour cela je dis merci à ce temple qui m’a ouvert les porte au moment ou j’en avais le plus besoin ».
Quoi qu’il en soit, des enfants sillonnent les rues de Dakar et se heurtent aux nombreux écueils de la vie. Démunis et laissés à eux même seuls dans les rues, ils sont exposés à tous les dangers. De quoi avoir peur pour un pays dont une partie de son espoir est entrain de filer le mauvais coton.
Faty Dieng
C’est ainsi que ces gamins sont laissés à eux même, sans aucune protection ni le jour ni la nuit. Pour survivre donc, ils se débrouillent du mieux qu’ils peuvent pour gagner un peu d’argent. Samba, le plus âgé d’entre eux est le chef du groupe. Fier de son rôle d’aîné, il raconte son quotidien. Vêtu d’un pantalon noir et d’un Lacoste rouge, ses jambes dépassent largement son carton qui lui sert de lit, notre interlocuteur affirme : «En quittant mon village, je ne savais pas que j’allais être un enfant de la rue parce que je croyais que Dakar était l’eldorado du Sénégal. Mais une fois arrivé ici, mes rêves se sont envolés. J’étais logé au départ chez mon oncle qui disposait d’une seule et unique chambre pour toute sa famille dans la banlieue. Mais étant donné la situation, je ne pouvais pas éternellement rester chez lui. Et c’est ainsi que j’ai quitté son domicile pour voler de mes propres ailes. Je voulais dans un premier temps retourner chez moi mais j’ai pu trouver un emploi en tant que porteur au marché "Sandinièry" (un marché de fruits qui se trouve à Sandaga). Mon travail consiste à aider les clients à transporter les fruits achetés. Au départ, c’était vraiment difficile mais bon tenu. Il m’arrivait de rester éveillé toute la nuit parce que les gardiens me chassaient. C’est par la suite que j’ai connu mes potes comme cela et depuis, nous nous retrouvons ici chaque nuit pour dormir même si le matin, chacun vaque à ses occupations. Bon je ne me plains pas trop parce que je gagne quand même quelque chose qui me permet d’aider la famille une fois rentré chez moi. » Si ce jeune homme compte regagner son domicile sous peu, d’autres par compte, n’y songent même pas. Et le nombre d’enfants qui sont dans la rue reste quand même très important. Cheikh Saliou Mbacké Diouf, sociologue, explique: « Le fort taux d’urbanisation avec l’exode rural massif des populations qui quittent les villages vers la capitale, le manque de travail, la création des banlieues sont entre autre les principales causes de l’aggravation du phénomène des enfants de la rue. Il s’y ajoute qu’un enfant qui n’est pas pris en charge ni par l’Etat, ni par sa famille n’a que la rue comme domicile ». Et le sociologue de poursuivre : « Bien qu’il y ait beaucoup d’O.N.G. qui oeuvrent pour les droits de l’enfant, l’Etat agit timidement. Et c’est notre pays qui en pâtit tout simplement car ce fléau engendre beaucoup de conséquences tels que le banditisme, avec un fort taux de criminalité, la drogue, les violences notées dans la rue, ainsi que d’énormes problèmes d’insertion ».
Parmi les structures qui aident les enfants dont parle notre interlocuteur, « l’Empire des Enfants » est une parfaite illustration. Ce centre d’accueil qui était au départ un refuge ou des enfants passaient la journée pour ensuite retourner la nuit dans les rues est devenu un véritable foyer pour des nombreux enfants en difficultés. Mame Fatou Diop, coordinatrice de l’Empire des Enfants, explique :« Notre foyer accueille tous les enfants de la rue. Et même si notre capacité d’ébergement est de 25 personnes, il nous arrive parfois de dépasser largement ce nombre parce qu’on n’a pas le droit de refuser l’aide à un enfant en difficultés. Ici, nous leur apprenons un métier, tout en essayant quand même de les rééduquer. Mais, il faut préciser que l’Empire n’est pas une maison mais un centre d’accueil. Donc tout au long de leur séjour ici, nous faisons comprendre aux enfants que leur place n’est pas ici mais dans leurs maisons. Et nous recherchons la famille de l’enfant avant de faire la médiation entre lui et ses parents, une fois rentré chez lui, nous continuons à le suivre pour qu’il ne récidive pas. Et la plus part des enfants qui sont passés à l’Empire ont réussi leur réinsertion. Ces enfants retournent soit à l’école, soit poursuivent le métier qu’ils ont appris ici. »
L’attitude des enfants trouvé dans ce foyer confirme les propos de Mme Diop. Visages rayonnants, vêtus d’habits propres, ces enfants jouent au baby-foot dans la cour de ce temple. Après avoir parcouru les rues de Dakar pieds nus, ces enfants affirment qu’ils sont bien pris en charge et mangent à leur faim contrairement au moment ou ils étaient dans la rue. Un jeune homme de 18 ans, sénégambien bon teint et qui est à « l’Empire » depuis fin 2005, témoigne : « J’ai quitté ma Gambie natale sans l’avale de mes parents après que J’ai eu des difficultés dans mon école. Arrivé dans la capitale sénégalaise où je ne connaissais personne, j’avais naturellement des problèmes pour m’en sortir. J’ai sillonné les rues, et dormi sous la belle étoile jusqu’à ce que je retrouve l’empire des enfants qui m’a accueilli et m’a beaucoup aidé. D’ailleurs, il (l’Empire) le fait pour tous les enfants en difficultés. Et aujourd’hui si j’ai pu me réconcilier avec mes parents, c’est grâce à l’Empire. Mieux encore, j’ai pu bénéficier d’une formation en tant qu’animateur de cirque en Suède. Je fais des spectacles deux fois par semaine ici et les autres enfants peuvent venir se divertir. Ce qui est bien, c’est que je vais rentrer chez moi avec un métier qui me permettra de gagner ma vie. Pour cela je dis merci à ce temple qui m’a ouvert les porte au moment ou j’en avais le plus besoin ».
Quoi qu’il en soit, des enfants sillonnent les rues de Dakar et se heurtent aux nombreux écueils de la vie. Démunis et laissés à eux même seuls dans les rues, ils sont exposés à tous les dangers. De quoi avoir peur pour un pays dont une partie de son espoir est entrain de filer le mauvais coton.
Faty Dieng